Les émissions anthropiques de gaz à effet de serre (combustion du pétrole, du charbon et du gaz naturel), la déforestation massive (chaque minute, on déboise une surface équivalant à quarante terrains de football sur terre) et l’agriculture intensive contribuent significativement au réchauffement climatique. Bienvenue dans l’anthropocène. Or, si les effets sur la nature sont tragiques (bouleversement de la biodiversité, disparition d’espèces végétales, animales et aquatiques, modification en profondeur du paysage…), les conséquences pour l’homme seront tout aussi dramatiques.
Nombres de pays insulaires sont directement impactés par l’élévation du niveau des océans en raison notamment de la fonte des glaciers et des banquises (la banquise arctique a diminué de 40 % depuis les années 1980). Pour les Maldives qui culminent à 2,3 mètres au-dessus du niveau de la mer, c’est une question de survie. L’Indonésie (17 000 îles) est en risque permanent et subit de nombreuses inondations. Dans le Pacifique, les Iles Marshall et Kiribati ont déjà une partie de leurs plages sous l’eau, ce qui réduit les zones habitables, salinise les terres arables, détruit les cultures et oblige la population locale à se déplacer. Quant à l’archipel des Tuvalu, les experts prédisent qu’il n’existera plus d’ici 50 ans. Aucun continent n’est épargné.
Le Bangladesh, dont la moitié de la population vit à 5 mètres au-dessus du niveau des océans, aura perdu 20 % de son territoire face à la mer en 2050. La Louisiane perd 65 km2 par an de ses terres dans le Golfe du Mexique. Aux Pays-Bas, la poldérisation a permis de conquérir 17 % de territoires sur la mer mais 26 % de la superficie du pays et 40 % de la population se trouvent sous le niveau de la mer. Le danger est réel.
Les catastrophes naturelles déplacent en moyenne 27,5 millions de personnes chaque année
En outre, l’acidification des océans, les ouragans plus fréquents et plus dévastateurs, les épisodes de sécheresses plus longs et plus intenses, les incendies et la désertification, les inondations plus répandues et destructrices, et l’érosion des deltas et des côtes – tous ces évènements sont impactés par le réchauffement climatique - contribuent aussi à pousser les populations loin de chez elles entraînant d’inévitables tensions dues à la surpopulation, la détérioration des conditions de vie et l’accès restreint aux ressources naturelles. La destruction de l’environnement comme facteur d’accroissement des conflits n’est pas une vue de l’esprit. C’est une réalité.
L’indispensable protection des réfugiés climatiquesSelon l’International Displacement Monitoring Center, les catastrophes naturelles déplacent en moyenne 27,5 millions de personnes chaque année. Si la majorité des déplacements liés au climat est encore circonscrite à l’échelle du pays, le passage des frontières est une réalité que l’on ne peut ignorer. Le « déplacé climatique » devient alors un « réfugié climatique ».
Le réfugié climatique n’existe pas juridiquement
Selon les prévisions les plus optimistes de l’ONU, il y aura 250 millions de réfugiés climatiques dans le monde en 2050. Or le réfugié climatique n’existe pas juridiquement. Ni la Convention de Genève de 1951, ni le Pacte de l’ONU relatif aux droits civils et politiques ne s’appliquent à lui. Conséquence : les pays-hôtes ne sont pas contraints de recevoir ces réfugiés ni de pourvoir à leurs besoins élémentaires. Et encore faut-il que l’examen de leur situation soit rapide. A défaut, ils y demeureront tout de même en situation irrégulière et précaire. Et la situation n’est pas récente.
En 1985, le Professeur Essam El Hinnawi utilisait pour la première fois le terme « réfugiés environnementaux » dans un rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (Pnud) pour définir les populations déplacées suite aux sécheresses subsahariennes sans que l’ONU ne leur octroie pour autant un statut juridique et la protection idoine.
Trente ans plus tard, en octobre 2015, 114 États adoptaient « l’initiative Nansen », lancée en 2012 par la Norvège et la Suisse. L’objectif est de combler un vide juridique par « la mise au point de nouveaux cadres légaux et/ou politiques ou la modification des cadres existants permettant l’identification, la circulation, l’admission et le séjour des personnes déplacées au-delà des frontières en raison de catastrophes et de changements climatiques ». Première initiative intergouvernementale véritablement structurée pour la prise en compte des réfugiés climatiques, cet agenda n’a cependant pas de valeur contraignante. Il liste des recommandations et des principes généraux à respecter tant en termes de prévention que de réaction et s’appuie sur la bonne foi et la bonne volonté des États signataires. Les résolutions onusiennes et déclarations européennes intermédiaires de 1988 (ONU), 2008 (Bruxelles), 2009 (Bonn) ou 2011 (Oslo) n’étaient pas plus contraignantes.
On retrouve le même type de dispositif dans l’accord de la COP 21 de décembre 2015 sur la lutte contre le dérèglement climatique qui ne prévoit ni contrôle, ni mesures coercitives, ni sanctions bien qu’il ait, lui, valeur de traité international. Ont été préférées des dispositions mettant en avant un mécanisme de transparence permettant de vérifier les engagements de chacun des pays et d’exposer publiquement leurs violations éventuelles. L’incitation positive basée sur la confiance mutuelle plutôt que le spectre de sanctions. Pourquoi pas. Sauf que les États-Unis en sont sortis en juin 2017 sans s’émouvoir de la réprobation quasi-générale.
Plus ambitieux, le Pacte mondial pour l’Environnement – dont l’ONU a adopté le 10 mai 2018 une résolution visant à en négocier les termes - a pour vocation de devenir le premier accord international juridiquement contraignant, rassemblant et harmonisant l’ensemble des droits environnementaux dans un traité unique. A l’instar de l’initiative Nansen et de la COP 21, l’avant-projet de texte rédigé par près de 80 experts internationaux et qui a donné l’impulsion à l’élaboration du Pacte institue un mécanisme de suivi fonctionnant « d’une manière transparente, non accusatoire et non punitive ». D’aucuns pourraient regretter l’absence de sanctions.
Mais la sortie du Canada du Protocole de Kyoto en 2011, précisément pour éviter de possibles sanctions, vient remettre en cause l’efficacité de ces dernières. C’est pour déjouer cet effet repoussoir, et compte tenu de la difficulté à mobiliser les États sur un sujet pourtant si essentiel, que la bonne volonté et la bonne foi des pays participants est privilégiée dans le cadre de ces accords.
Le combat contre le réchauffement est aussi judiciaireSi la volonté de créer un corpus juridique harmonisé et contraignant est important, la judiciarisation des questions climatiques est une autre modalité de protection de l’environnement et des hommes. Le 10 octobre dernier, la Cour d’Appel de La Haye a confirmé la décision de première instance de 2015 ordonnant au gouvernement néerlandais – opposé à 886 citoyens et à l'ONG Urgenda - une baisse des émissions de CO2 d’ici 2020 de 25 % par rapport au niveau de 1990.
Historique, cette décision n’en reste pas moins symbolique en ce qu’elle ne prévoit aucune contrainte pour atteindre cet objectif. Pour autant le combat judiciaire n’est pas vain. Le 5 octobre dernier, la justice allemande suspendaitle déboisement d’une forêt pour agrandir une mine de charbon tant que le recours sur le fond n’aurait pas été jugé. Le 24 mai 2018, ce sont dix familles d’Europe, mais aussi d'Afrique et du Pacifique, qui ont assigné le Parlement et le Conseil de l’Europe devant le Tribunal de l’Union Européenne pour insuffisance de la politique climat de l'UE. Par ailleurs, plus de 1000 actions judiciaires sont actuellement en attente devant des juridictions nationales et européennes.
L’absence de conscience du danger par les hommes politiques est stupéfiante. Rappelons-nous ce truisme lancé comme un avertissement par l’ancien Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon en 2014 : « Il n’y a pas de plan B car nous n’avons pas de planète B ». S’il faut encore convaincre les États ou les pollueurs de cette évidence, le droit – consensuel ou contraignant – sera un outil de plus à utiliser.